Tchatal-Hùyùk ignorait l'écriture mais l'absence d'écrits est largement compensée par l'emploi généralisé du langage le plus riche, le plus universel : le symbole immortel. Tous les sanctuaires vibrent d'une densité symbolique extraordinaire. Pour s'en rendre compte, « entrons » dans les dessins et imaginons une cérémonie du culte, dans le temple, la nuit. Dans le sanctuaire, faiblement éclairé par la lumière vacillante des lampes à huile ou à graisse, les adorateurs contemplent les symboles. D'abord la Déesse qui leur ouvre ses bras, tandis que ses jambes écartées suggèrent la porte de Vie : elle symbolise ainsi tous les mystères et toutes les puissances de la Vie incarnées dans la Irmme, origine de toute fécondité, de toute fertilité, des humains comme des bêtes et des plantes.
Les énormes têtes de taureaux symbolisent sans doute la puissance sexuelle mâle mais, placées sous elle, montrent que cette puissance lui est subordonnée. De quels rites mystérieux ces sanctuaires, impressionnants malgré (ou à cause ?) de leurs dimensions réduites, ont-ils été les témoins au cours de ces millénaires ? Nul ne le saura jamais.
Ces hommes et ces femmes y ont-ils partagé rituellement le pain, la viande et le vin, comme dans le rite tantrique ? Ont-ils pratiqué de la magie sexuelle 7 Rien ne le prouve, mais rien n'interdit de le penser car, dans toutes les civilisations agraires, les rites de la fertilité comportaient des pratiques sexuelles : voir le chapitre « L'ascèse à seize », la Chakra Pûjâ. Quoi qu'il en soit, tout gourou tantrique accepterait sans réserve ces sanctuaires pour y célébrer les rites du tantra.
Je sais, notre éducation puritaine fait qu'on renâcle à cette idée, mais il serait fort surprenant que des rites sexuels n'aient pas eu lieu dans ces sanctuaires ! J'en suis d'autant plus persuadé qu'à Tchatal-Hùyùk on pratiquait le culte de la Mort. Les rapaces planant autour d'une pauvre vieille et peints sur les fresques, symbolisent clairement la mort puisqu'on leur abandonnait les cadavres avant de les inhumer dans leur maison, sous leur lit, où leur squelette entretenait, avec le souvenir du disparu, le rappel de notre mortalité. Enfin, croyaient-ils en une vie après la mort ? Mystère.
La Mort et le Sexe étant inséparables, l'un exorcisant l'autre, c'est une raison de plus pour croire aux rites sexuels dans leurs sanctuaires. Néanmoins, même en l'absence de rites sexuels, tout à Tchatal-Hùyùk est du pur tantra.
Tantra, le culte de la féminité. André V Lysbeth